LE GREEN DEAL EUROPEEN ET LA STRATEGIE DE LA FOURCHE A LA FOURCHETTE

La Commission européenne a annoncé en décembre le « Green deal », stratégie environnementale présentée comme la nouvelle priorité de l’Europe. Cette politique, encore très floue, doit faire l’objet de plans d’actions attendus au 1er semestre 2020. Le Green deal sera avant tout une politique climatique et elle concernera largement l’agriculture.

 

Le contexte du Green deal 

Le 11 décembre dernier, deux semaines tout juste après l’entrée en fonction le 27 novembre de la nouvelle Commission européenne, sa présidente Ursula von der Leyen a présenté solennellement à la presse et au Parlement européen le Green deal européen (« pacte vert pour l’Europe »). Cette nouvelle politique, annoncée dès le 10 septembre, est présentée comme la marque de fabrique de la Commission et la priorité de Mme von der Leyen. Elle est appelée à devenir la plus importante des politiques européennes. Comme son nom ne l’indique pas, il s’agit essentiellement d’une politique climatique.

En matière de climat, le contexte est à la concurrence et à l’ambition partagée entre les trois institutions. La première nomination décidée par Mme von der Leyen a été celle du socialiste néerlandais Frans Timmermans au poste de vice-président exécutif de la Commission chargé du Green deal et également Commissaire au climat. Le Parlement européen, de son côté, a proclamé « l’état d’urgence climatique » lors de sa réunion plénière du 28 novembre. Quant aux chefs d’Etats, ils ont endossé le Green deal dès le lendemain de son annonce lors de leur sommet du 12 décembre, en affirmant par la même occasion un objectif de neutralité carbone de l’Europe en 2050 (partagé par tous les Etats membres sauf la Pologne dont l’électricité dépend à 80% du charbon).

Les dix volets du Green deal

Le Green deal est présenté comme une politique environnementale complète, cohérente et ambitieuse dans laquelle on peut distinguer 10 volets qui couvrent le climat dans ses dimensions globale et sectorielles (émissions des bâtiments, des transports, de l’agriculture et de l’industrie), mais aussi le recyclage des matériaux, la pollution de l’air, de l’eau et des sols et la biodiversité (voir le tableau résumé ci-joint et le site de la Commission européenne).

Comme le cœur du Green deal est la nécessité de faire face à l’urgence climatique, les premières discussions politiques, actuellement en cours, portent sur l’objectif que s’assigne l’Europe en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Au-delà de la neutralité (zéro émissions nettes) en 2050 et après l’échec de la COP 25 de Madrid, les ONG poussent l’UE à s’accorder sur un nouvel objectif de réduction pour 2030 par rapport à 1990. Au-delà des -40% déjà actés, les discussions portent sur un objectif de -50 à -55%. La Commission annonce sa proposition et son étude d’impact en la matière d’ici l’été 2020, ce qui risque de laisser insuffisamment de temps aux Etats membres pour trouver un accord avant le sommet EU/Chine de septembre 2020 et la COP 26 de Glasgow en novembre.

L'aspect financier est également au centre des discussions actuelles. La Pologne conditionne son accord à un transfert financier massif. A côté de prêts dédiés au climat de la Banque européenne d'investissement pouvant aller jusqu'à 1000 milliards d'euros, la Commission a annoncé un "fonds de transition juste" de 100 milliards d'euros dont 30 milliards pour les régions européennes les plus pauvres, sans donner plus de détails. Il semble s'agir pour l'essentiel du "recyclage" des fonds régionaux européens, avec moins de 10 milliards "d'argent frais". Les Etats membres, dont plusieurs exigent une baisse de leurs contributions et refusent toute nouvelle ressource propre européenne, ont encore un long chemin à faire pour mettre en cohérence leurs objectifs climatiques et budgétaires.

Quant à l’agriculture, elle est concernée par 5 des 10 volets du Green deal : les objectifs de réduction d'émissions et la législation Energie/climat, l’élimination de la pollution de l’air, de l’eau et des sols, la stratégie biodiversité, la stratégie « de la fourche à la fourchette », et l’action internationale de l’UE, avec notamment l’éventualité d’une taxe carbone aux frontières de l’UE.

Au-delà de quelques grands objectifs, le contenu du Green deal est encore très flou, et les stratégies et plans d’action pour chacun des chapitres devraient être présentés au début de 2020 : "Fonds de transition juste" en janvier, loi climat, stratégie industrielle, plan économie circulaire et stratégie biodiversité en mars, et stratégie « de la fourche à la fourchette » au printemps.

La stratégie « de la fourche à la fourchette »

Ce n’est qu’un des 5 volets du Green deal qui concernent l’agriculture, mais il est évidemment central pour les agriculteurs car c’est celui qui est spécifiquement consacré à l’agriculture et l’alimentation.

Comme pour tous les chapitres du Green deal, son contenu est encore flou. Sont affirmés avec force l’objectif de réduction des usages et des risques liés aux intrants chimiques, ainsi que la nécessité de mettre en place de nouvelles pratiques agricoles.

Les autres points mentionnés sont l'agriculture de précision, l'agriculture biologique, l'agroécologie, l'agroforesterie, le bien-être animal, les Ecoschemes, la gestion et le stockage du carbone dans le sol, le gaspillage alimentaire, la lutte contre la fraude, les produits alimentaire innovants tels que les produits de la mer à base d’algues, l'information des consommateurs sur l’origine, la valeur nutritionnelle et l’empreinte écologique des aliments, et l'amélioration de la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur.

A ce stade, on ne relève que deux annonces concrètes : la Commission évaluera les programmes stratégiques nationaux (PSN) de la future PAC à l’aune des objectifs du Green deal, et elle proposera en 2021 une nouvelle législation sur les intrants chimiques en agriculture.

La stratégie « de la fourche à la fourchette » devrait être présentée par la Commission « au printemps 2020 », et il faut malheureusement constater qu’elle sera placée sous la responsabilité de la Commissaire à la santé Stella Kyriakides, et non pas du Commissaire à l’agriculture Janusz Wojciechowski.

Et les agriculteurs ?

Les agriculteurs, qui cultivent 40% de la surface de l’Europe, sont les garants des paysages et de l’environnement et sont engagés depuis de nombreuses années dans la maîtrise et la diminution des impacts négatifs de leurs activités sur l’eau, l’air, les sols et la biodiversité. Face aux chantres de l’échec des politiques publiques « tant que l’Etat s’en remettra au bon vouloir de la profession agricole pour faire évoluer de manière volontaire ses pratiques » (Générations futures), les pouvoirs publics européens et français seraient biens inspirées d’écouter le point de vue de la majorité des agriculteurs : en matière d’environnement, les engagements volontaires doivent être privilégiés par rapport aux règlementations, les objectifs et les résultats doivent être évalués sur la base des impacts et non d’indicateurs peu pertinents (comme les quantités d’intrants utilisés), les méthodes doivent être basées sur la science et non la croyance, et enfin des financements doivent être disponibles pour soutenir les investissements des agriculteurs et compenser leurs surcoûts et manques à gagner.

Pour ce qui concerne le changement climatique dont ils sont parmi les premières victimes, les agriculteurs partagent évidemment les inquiétudes des scientifiques et les objectifs de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre. Mais ils observent souvent avec incrédulité et consternation les annonces politiques comme celle de la future PAC et maintenant du Green deal, dont la cohérence et la pertinence ne peuvent que susciter le doute.

Au-delà de la réduction des émissions de protoxyde d'azote liées à la fertilisation, l’objectif des producteurs de grandes cultures est d’accroitre leur contribution à la diminution des émissions nettes de gaz à effet de serre. L’artificialisation des terres doit donc être maitrisée, et la séquestration de carbone dans les sols cultivés et la contribution de l’agriculture à la décarbonation des autres secteurs (biocarburants, bioéconomie) doivent être prises en compte et encouragées.

La science nous indique que ces objectifs sont parfaitement compatibles avec la nécessité d’accroître la production végétale européenne (produire plus, produire mieux). Et que certains leviers constituent la clé pour les atteindre, comme la couverture et la restitution de biomasse aux sols, l’accélération de l’amélioration génétique des plantes et l’agriculture de précision. Le Green deal doit mettre en avant ces objectifs, ces principes et ces méthodes : la vigilance s’impose.

Nicolas Ferenczi